Cicatrices à vie

J’aimerais vous partager un peu ma relation assez étroite avec la dépendance affective au cours des dernières années. Selon moi, c’est vraiment un fléau chez les humains (je n’affirmerai pas que c’est générationnel, parce que je n’étais pas là il y a 50 ans pour le savoir). On a tellement besoin d’aimer et d’être aimé pour se sentir vivant. J’pense qu’on le sait tous, mais on continue pareil de s’faire du mal avec les autres.

J’ai été pendant plusieurs mois avec quelqu’un qui me disait des “je t’aime” et me traitait comme d’la marde dans les mêmes 24 heures. C’était un amour fusionnel, deux vrais inséparables. Je pensais vraiment l’aimer, mais dans les faits, je l’« aimais » comme un crackhead aime le crack, comme un alcoolique aime la bière. Je me nourrissais de sa présence et ça me donnait l’illusion que j’étais bien. J’étais vide à l’intérieur et je cherchais juste à combler ce vide-là avec une personne. Pourtant, il aurait fallu que je comble le vide avec moi-même. Mais c’est quoi cette bebitte-là, moi-même? J’avais ben d’la misère à comprendre ce que j’étais supposée être, moi là, parce que j’existais pu depuis un bout.

Non seulement ma relation était malsaine parce que j’étais extrêmement dépendante, mais en plus j’étais dans une relation où l’abus psychologique faisait partie du quotidien. Je partageais ma vie avec quelqu’un de manipulateur, possessif et jaloux, qui n’allait vraiment pas bien à la base. Nos vies avaient été beaucoup trop différentes pour que l’on puisse se comprendre, communiquer ou simplement avoir une vision similaire du monde.

Tous ces éléments réunis ont fait en sorte que plus le temps avançait, plus on était malheureux ensemble et plus il me détruisait psychologiquement. Il n’avait connu que ça, la douleur, la tristesse, la frustration, l’agressivité. Et là, je ne dirai jamais que j’étais parfaite dans tout ça; loin de là. Je lui ai causé beaucoup de tort à lui aussi, comme en réponse à ce qu’il me faisait subir. Parfois, j’avais tellement mal, j’étais tellement exténuée de me sentir comme d’la marde, je partais. Et il s’en foutait, parce qu’il savait que j’allais revenir. Le pire, c’est qu’il avait raison; j’étais enchaînée psychologiquement à la prison qu’était notre relation. Il avait même pas besoin de me demander de revenir. Je partais, je pleurais, je le détestais… mais au final je me disais, « T’es pas assez forte, t’es pas capable de vivre sans lui. » Je me détestais de penser ça, je savais que c’était faux, ça ne pouvait pas faire autrement que d’être faux. Mais quand la personne qu’on « aime » est toujours placée avant soi-même, quand tout ce qu’on fait est dédié entièrement à son bonheur et jamais à soi-même, on finit par ne plus savoir comment exister. Alors mes chaînes me ramenaient vers lui, à chaque fois. Je savais qu’on se faisait du mal, que je n’allais pas bien, que je devais absolument trouver un moyen de me sortir de cette relation. Mais comment? Il comblait l’énorme vide qui s’était creusé depuis des années au fond de mon âme, et qui formait depuis quelques mois un trou noir. C’était inconcevable pour moi de ne plus l’avoir à mes côtés. Qu’est-ce que je ferais, seule? Qu’est-ce qui me passionnerait? Comment je dormirais la nuit?  Mon cerveau allait à cent mille à l’heure, je virais folle juste à y penser, tellement ça me faisait peur.

J’étais vidée de tout ce qui aurait pu faire en sorte que je sois moi. Et sans personne, ce vide devenait un grand gouffre au bord duquel un intense vertige me saisissait.

Puis un jour, il m’a trompée. Tout finit toujours par se savoir. Ce jour-là, évidemment, mon monde s’est écroulé, étant donné que mon petit monde se limitait à lui. Il m’avait déjà fait mal dans le passé, mais là, il venait de dépasser la limite, la seule limite qui me gardait sur mon petit nuage. Trop de douleur, de colère, de dégoût, un trop plein de désespoir… Je me suis jurée qu’il ne me ferait plus jamais de mal, qu’il ne contrôlerait plus jamais ma vie. Évidemment, ce n’était pas la dernière fois qu’il me ferait mal. Mais, après plusieurs semaines, à force de me répéter « c’était la dernière fois qu’il me faisait du mal » et à agir en conséquent, j’ai fini par me détacher. Je le pensais vraiment; il ne m’atteignait plus et je me sentais enfin libérée. Ça a été une période extrêmement difficile de ma vie, où l’anxiété et la détresse m’envahissaient quotidiennement. Mais je savais maintenant que j’avais pris le bon chemin, celui où on entrevoit la petite lueur d’espoir.
Je suis passée par des crises de panique, où je ne trouvais plus du tout de sens à la vie que je vivais, où je ne pouvais pas concevoir que j’allais devoir vivre avec moi et seulement moi. C’était comme si pendant tous ces mois il m’avait portée dans ses bras, me baladant un peu partout mais je ne pouvais jamais décider où on allait. Puis soudain, je tombais par terre. Les deux pieds bien encrés au sol. Toute raquée, je devais me relever et réapprendre à marcher par moi-même. Je devais prendre conscience que je suis moi aussi dotée de jambes, et que si je veux être capable de mener ma propre vie, je dois être capable de marcher toute seule.

La relation m’a isolée complètement. La dépendance affective m’a fait perdre tout ce qui comptait pour moi. Je ne jouais plus de musique, j’avais perdu mes meilleures amies, j’avais des mauvaises notes à l’école, j’étais toujours fatiguée, plus rien ne me rendait heureuse. J’ai dû tout reconstruire pour retrouver ceux qui comptaient pour moi et pour retrouver ma motivation à faire ce que j’aimais.

Tout ça pour dire que le grand vide que l’on peut ressentir en étant dépendant affectif, il fait extrêmement peur. C’est notre pire ennemi, on ne veut même pas y penser. Et même quand on est proche de toucher le fond, on s’accroche encore parce qu’on a trop peur de ce vide. Je le sais, parce que je me suis accrochée jusqu’au dernier moment, jusqu’au dernier espoir. J’aimerais juste vous dire que ce vide-là, il ne peut tuer personne. On pense qu’on est incapable de le surmonter, d’être seul, d’être une personne à part entière, mais c’est seulement dans la tête que ça se passe… et même si ça semble impossible à faire, même si c’est difficile de faire le premier pas vers l’indépendance et la liberté, il faut se forcer à le faire pour finalement réaliser qu’on est bien mieux dans notre peau quand elle nous appartient complètement. Surtout, il faut combler le vide avec autre chose qu’une personne. Il existe tellement de choses qui peuvent construire qui nous sommes, pourquoi se définir par rapport à une autre personne? Les amitiés, la famille, les animaux, les voyages, la musique, marcher en forêt, sortir le vendredi soir, lire, apprendre, écrire, faire du sport, danser, manger, faire à manger, dessiner pis même écouter Netflix! Il y a tellement de choses dans ce bas monde qui peuvent nous rendre heureux. Il ne faut jamais placer un autre être humain avant soi; il ne faut jamais se laisser disparaître « par amour » de l’autre.

Avec du recul, je me sens beaucoup plus mature, grandie et moins naïve. Je suis une nouvelle personne, qui sait ce qu’elle veut. Cette expérience a bien failli venir à bout de moi, mais je me suis relevée et je n’ai jamais été aussi reconnaissante de la vie que j’ai. Je vois enfin clairement.

À toi qui lit ceci et qui te sens peut-être pogné(e) et ben mêlé(e) dans tout ça, sache que tu as autant de valeur que ta moitié et que tu as le droit d’exister. Fais ce que tu as envie de faire réellement. Sois avec quelqu’un qui t’aides à atteindre tes objectifs, qui t’encourage, qui te laisse vivre, et qui t’amènes plus haut.

-Il faut être heureux seul avant d’être heureux à 2

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